Ferme les yeux et ouvre la porte ♥ [Lituanie]

C'avait été une journée froide et claire, le genre de température d'hiver sec qui fait l'effet d'une gifle franche dès qu'on met un pied à l'extérieur. Un froid direct, qui annonçait tout de suite la couleur, pas un de ces froids humides et sournois qui s'insinue partout et dont on ne peut plus se défaire avant de longues heures. Le ciel s'était paré depuis le matin d'un gris clair parfaitement opaque et uni, qui s'assombrissait alors que le jour déclinait. Bref, une journée qui donne envie de rentrer chez soi, d'allumer la lumière, et de se réunir avec famille et amis autour d'une tasse chaude.

Ivan était à la fois insensible et hypersensible au froid. S'il sentait à peine celui de l'extérieur, c'était parce qu'il se sentait gelé en permanence. quant au reste.... Son appartement était certainement l'endroit le plus froid qu'il connaisse, et ce n'était pas faute d'essayer de le réchauffer, seulement voilà...Trop vide,trop grand. Il n'avait ni famille,ni ami, et de surcroît, il ne comptait pas sur un fond de liquide chaud dans une tasse pour changer les choses.

Il aurait dû être content, en ce tout début de soirée. Aussi gris soit le ciel, ç'avait été une bonne journée. Il avait revendu un terrain préalablement acheté une vraie misère. C'était tout l'intérêt d'acheter directement à des particuliers. ils étaient moins conseillés, moins au courant, et beaucoup plus impressionnables. qui plus est, en général,ils étaient dans l'urgence et/ou dans une situation catastrophique. Alors oui, c'était plus contraignant de traiter avec des particuliers, mais c'était beaucoup plus rentable et surtout, plus amusant. Parce qu'il faut bien dire qu'en soi, l'argent en lui même, ça passait au dessus de la tête du russe. Il en avait amassé bien trop comparé à ses besoins. Au début, oui, il avait pas mal dépensé, mais à quoi bon ? Il n'y avait qu'à voir son habitation. Gigantesque oui, mais ça ne lui servait à rien au final, et c'était plus encombrant qu'autre chose, dans son inutilité. Il ne se rendait jamais dans la plupart des pièces qu'elle comprenait.
Alors oui, il aurait pu se passer d'approcher des gens qui se retrouvaient acculés et désespérément obligés de vendre leur maison. Mais bah ! ça changeait du vide sidéral des entreprises, et puis c'était distrayant. Un peu lassant, d'accord: avec eux, il gagnait toujours... Mais amusant quand même. Et certes, ça prenait du temps, mais voyez-vous, du temps, il en avait de trop, aussi.

Il aurait dû être content, mais au fond, pas tellement. Oh, ce n'est pas qu'il culpabilisait ou quelque chose de ce genre. Sitôt le bien acheté, il oubliait les gens qu'il avait collé à la rue. Non, c'était plutôt qu'il venait de réaliser qu'on était au milieu du mois, et, à vrai dire, s'il avait laissé son travail si tôt, c'était qu'il avait envie de passer rendre une visite à ses locataires favoris. Les deux cousins qui venaient des pays baltes. Oh, il les adorait, à tel point d'ailleurs, qu'il venait en personne pour récupérer le montant du loyer. Oui oui, à chaque fois ou presque. C'était son activité favorite, chaque début de mois. D'ordinaire, il se tenait à un passage mensuel, mais parfois, il avait envie de passer aléatoirement. C'était néanmoins plus compliqué, il se devait de prétexter une raison. Pas qu'il aie à se justifier, bien sur, mais... Il n'avait pas envie d'admettre ou même juste de laisser croire qu'il ne voulait simplement pas rentrer dans son appartement vide.

Ce n'était pas bien loin, il irait à pied. Et il trouverait bien une excuse en chemin. Une ou deux fois, il avait fait le coup de la-hausse-de-loyer-nécessaire. Il aimait bien voir le petit Toris se décomposer et blanchir au fur et à mesure qu'il le noyait dans les chiffres. Ce qui était bien, c'est que ça lui fournissait un prétexte tout fait pour repasser deux jours plus tard, pour annoncer magnanimement au petit brun qu'il allait faire un grrrand effort et baisser les charges en contrepartie, pour en revenir finalement à un montant similaire. Il avait ainsi l'occasion de voir l'effet de 48 heures d'angoisse sur son visage. Ca se traduisait le plus souvent par les traits tirés et des cernes mauves sous ses yeux. Il en concluait que Toris anxieux ne pouvait pas dormir.

C'était amusant. Ce petit gars était si émotif.

Toutefois, il ne pouvait pas lui faire ce coup-là trop souvent. Ca n'aurait plus d'effet, à terme... Oh, ce n'était pas qu'il craignait une désertion. Il avait une idée assez précise de ses revenus, et à moins de s'éloigner énormément, il ne trouverait rien d'autre. Surtout depuis qu'il avait son mignon petit cousin à charge. Le loyer qu'il lui infligeait était à ses yeux ridiculement bas, mais il savait pertinemment que pour Toris, c'était le maximum envisageable. Faut dire ce qui est, instituteur, ça ne paie pas. Il s'y accrochait, pourtant, l'engin. Quel gâchis, alors qu'Ivan lui avait proposé de travailler pour lui. D'ailleurs, il n'abandonnait pas l'idée. Mais il n'était pas pressé. Un jour. Un jour.

pour l'heure, il était arrivé à l'immeuble, et après avoir gravi les marches, il frappa à la porte. Oui, bien sur,qu'il avait les clés. Mais il aimait bien laisser au petit lituanien une impression de liberté ♥