Become one with Ivan, da ?

   Ivan Braginsky

   

Le connaître, c'est comme avancer dans une forêt obscure. A l'orée, au premier abord, face à l'immensité potentiellement menaçante, l'un comme l'autre laisse une impression inquiétante, un peu effrayante. Au bout de quelques mètres, on est habitué déjà, et on en vient même à trouver certains aspects familiers, voire même rassurants. Et c'est là qu'on arrive à l'embranchement. L'une des voies mène ves la clairière du "ohbencommequoiyavaitpasdequois'inquiéter", l'autre vers les tréfonds du "ohmerdemaispourquoij'ysuisalléjelesavaispourtant". Pour être honnête, peu de gens choisissent le chemin qui mène à la clairière. A leur décharge, ce n'est pas forcément très facile... ni même très rentable. Tout n'est en fait qu'une question de point de vue... et de la capacité qu'on peut avoir à être conciliant. Parce qu'en fait, on pourrait résumer beaucoup de choses à ça. Ivan n'est pas quelqu'un d'arrangeant. Le 'terrain d'entente', il ne s'y aventure que si l'entente est à son avantage et qu'il n'y voit pas de contraintes.

Il ne les aime pas, d'ailleurs, les contraintes. Lorsqu'il se trouve confronté à une situation qui l'irrite, il ne perd pas systématiquement son sourire, mais lorsque celui-ci perdure, il n'offre plus la moindre illusion sur sa nature sincère. Autant dire qu'il ne cherche généralement pas à dissimuler son déplaisir. Au delà de ça, il parait évident que, comme un jeune enfant, il supporte très mal les contrariétés, et son réflexe est souvent d'évacuer son dépit en molestant, physiquement ou verbalement, le responsable de la situation ; le terme réflexe n'étant à prendre qu'en illustration de la spontanéité :  en effet, ce trait n'est pas pathologique, mais complètement délibéré, tout comme la capacité qu'il a à susciter un malaise palpable chez bon nombre de personnes - et, parfois, à se plaire ouvertement à le faire.

Néanmoins, la plupart du temps, il ne présente pas de signe d'agressivité. Lorsqu'il prend la parole, ou lorsqu'il aborde une tierce personne, il le fait, sauf exception, avec une aisance tranquille, la plupart du temps d'un ton égal, voire mielleux, qui ne laisse pas réellement transparaître l'intention. De fait, il peut être un peu destabilisant pour certains esprits de faire face à des mots en absence totale d'adéquation avec la voix qui les produit.

Ce qui peut estomper la première impression qu'on a de lui, c'est son comportement de surface. Précisément, pour les quelques personnes qui ne sont pas de nature à être impressionnées par les dimensions du bonhomme ou le froid qu'il dégage, on peut même carrément le trouver sympathique de premier abord, parce qu'il semble d'emblée légèrement réservé, affable, souriant, et très, très, très sociable. Pour les autres, entre son apparence peu engageante et sa façon d'être, ce n'est pas quelqu'un vers qui on va spontanément, ni auprès de qui on a envie de rester. Dans les deux cas, sa 'sociabilité' exacerbée et son incapacité absolue à supporter la moindre contrariété ramènent souvent à la conclusion qu'il est à éviter. De fait, c'est vrai, il est très seul. Et justement, la solitude est quelque chose qu'il supporte très mal. Mais comme ce point comme pour le reste, il ne perçoit comme concret que ce qu'il veut bien. Comme dit ci-dessus, son principal problème d'un point de vue relationnel, c'est sa tendance très poussée à vouloir littéralement s'approprier son entourage, sans se préoccuper le moins du monde du ressenti d'autrui. A cet égard, il est certain qu'il s'agit d'une personnalité très égocentrique, voire immature : tous les moyens sont bons pour obtenir ce qu'il veut. Ainsi, il est tout à fait conscient qu'il est susceptible d'intimider certaines personnes, et n'hésite pas à en jouer pour se les rallier, de bon ou, plus souvent, de mauvais gré. Il craint fortement, on le redit, l'isolement, et/ou l'abandon. On pourrait facilement penser qu'il n'en a pas conscience, et l'on aurait tort. Mais s'il l'admet en son for intérieur, il ne le mentionnera jamais à voix haute, et se contentera de souligner qu'il aime être entouré de ses amis et en prendre soin. Dans un esprit proximal. Trrrès prrroximal.

Ivan est né un après-midi d'hiver en périphérie de Moscou, dans ce qui était alors la République socialiste fédérative soviétique de Russie, ce qui constitue déjà un emmerdement administratif puisque ça ne rentre jamais dans les cases des formulaires.
Il a grandi dans une famille ouvrière comme il y en a tant, qui ne se distinguait que par le fait qu'elle était elle-même un pur produit de l'URSS : de trois enfants, chacun était né dans une République différente. L'autre particularité étant qu'il a eu pour ainsi dire deux mères au lieu d'une, sa soeur aînée étant l'incarnation bipède de la poule standard. Sa soeur cadette tenait davantage de la mante religieuse, mais c'est une autre affaire.

Il est bon de se souvenir qu'il a traversé les dernières années et la chute de l'Union Soviétique à l'âge où les enfants sont des éponges émotionnelles. Sa personnalité s'est construite sur les fondations de cette période, et il n'a en fin de compte que très peu changé. Il a grandi dans un pays en quête d'une nouvelle voie, mais marqué par des idéologies dont les relents affleuraient au quotidien.

Ivan fut, pendant toute son enfance, un gamin assez isolé, dont l'envie de sociabiliser était proportionnelle à sa solitude. Son quotidien, jusqu'à l'âge adulte, fut assez simple, et se partageait entre sa scolarité, où il fut de A à Z un élève moyen qui ne se distinguait ni par brillante réussite ni par cuisant échec, sa famille, et des activités solitaires émaillées de nombreux raids dans sa quête vaine de camarr... d'amis.  Il est vrai qu'on peut se demander pourquoi tant de déboires. au fond, il n'était pas un enfant à problèmes, et si certes son misérable gabarit attirait assez peu l'attention, il n'y avait pas de réserve à outrance en lui ; il n'hésitait pas à approcher ceux qui lui paraissaient sympathiques. Sans succès la plupart du temps, peut-être parce qu'il semblait trop doux pour être autre chose qu'une victime-née, ou à contrario parce qu'il montrait malgré tout un penchant naissant mais déjà bien concret à rechercher des liens sociaux avec beaucoup trop d'insistance. Il est fort possible que les deux hypothèses soient valides ET complémentaires, ayant été à l'appréciation des cibles diverses de sa grande quête d'amitié. Dans tous les cas, il n'avait ni la stature, ni la force, ni la faculté d'intimidation pour prendre le pas sur quiconque. De fait, toutes ces années-là, il resta désespérément seul, voire même carrément malmené. Ses soeurs seules étaient un refuge doux et sûr, mais il se prit assez vite d'une crainte viscérale vis-à-vis de sa cadette dont les ambitions matrimoniales franchement incestueuses devenaient plus violentes et plus déplacées au fur et à mesure des années. En revanche, sa douce et maternelle soeur aînée était compatissante et encourageante. Elle promettait qu'un jour, il serait très grand, très fort, très aimé.
Elle n'avait pas tort.... Même si elle ne devait probablement pas se douter que le dernier point découlerait des deux autres d'une façon relativement peu orthodoxe. Pour ce qui fut de sa croissance... Il crût, oui (et c'est super moche, mais je le laisse tel quel parce que j'ai quand même dû googler pour avoir le passé simple de croître, grosse inculte que je suis. J'te raconte pas la déception), et plus qu'il n'en fallait.

Un lieu commun veut que ceux qui furent des enfants de l'hiver soient et restent frêles, délicats et fragiles. Pour ce qui est de l'avoir été, oh ! oui, il l'avait été. Il avait même été excessivement sensible au froid, surtout, et la moindre chute de température - on en conviendra, dans son pays natal, ce ne sont pas des chutes de fillette - lui valait des orgies de frissons et des déluges de kleenex. En revanche, que ceux qui se disloquent le cou pour regarder Ivan Braginsky dans les yeux, tout en évaluant sa circonférence à celle d'un séquoia tricentenaire, méditent sur le bien-fondé des lieux communs.
Quant au froid, on peut soupçonner qu'il a fini par l'absorber, littéralement.

A l'âge de vingt ans, il quitta son grand pays encore si fragile, où les chances de parvenir à quelque chose de grand étaient encore maigrelettes, à fortiori lorsque, comme lui, on n'a pas vraiment défini sa voie. Partir ne l'ennuyait pas. En revanche, les États-Unis, ce n'était pas vraiment une option qu'il aurait choisi par lui-même, étant investi, profondément et globalement, d'une inimitié tenace pour le pays en question. S'il s'y rendit, ce fut parce que sa soeur aînée y vivait désormais. Il faut malgré tout admettre que l'expatriation vers l'ignoble pays lui réussit plutôt bien. Le reste ne fut qu'histoire d'occasions à saisir et d'opportunités à exploiter.
Ivan est guidé avant tout par ses propres intérêts, fussent-il aller à l'encontre de ses convictions, parce que les seules contrariétés qu'il tolère à peu près sont celles qui présentent un avantage.
C'est sur place et par hasard qu'il est arrivé dans le domaine duquel il a fait son métier. Il est à noter que sa vie professionnelle est le seul domaine dans laquelle son absence d'entourage a été utile, parce qu'il a vraiment commencé de la base, au bas de l'échelle. Privé de dimension sociale et pas encore en mesure d'avoir de vrais moyens de pression, il s'est un long moment absorbé dans son travail, et il s'est avéré que celui-ci lui convient atrocement bien, à lui qui est né dans un pays où les gus lambda ne pouvaient alors pas posséder réellement de pierre. Une petite dizaine d'années après ses débuts, il ne travaillait plus pour personne d'autre que lui-même. Au début, il se contentait d'acheter et de vendre, et s'il se trouva finalement à mettre des logements en location, ce fut à la suite d'un imbroglio juridique qui lui l'empêcha tout bonnement de revendre un immeuble. Mais, vraiment, ce fut un mal pour un bien. Quelle chose amusante que d'avoir des locataires, hein ? Il se désintéresse de tout ce qui est amérrricain, bien sur - ces gens sont des dégénérés - mais s'intéresse de très près à d'autres, ceux avec qui il a davantage d'affinités, quand bien même elles ne sont pas réciproques. Ceux qui sont trop conciliants ou trop craintifs pour le contrarier en posant des distances. Ceux qui ont besoin, tellement besoin qu'on veille sur eux... même s'ils n'en ont pas conscience.


Aujourd'hui, il vit seul, dans un appartement beaucoup trop grand, qui ressemble à son pays. Les trois quarts de la superficie ne servent à rien sinon à accumuler de la poussière, et les murs en sont si épais qu'il est froid et silenceux comme une grotte confinée sous la neige. Et ce n'est pas faute d'essayer de mettre de la vie dans ce lieu, mais toujours en vain. Il y invite parfois des gens qui déclinent de façon si systématique que c'en est presque devenu un jeu amer, dont l'apogée est le rituel malsain qu'il s'impose chaque année. Obstinément, chaque 30 décembre, il organise consciencieusement un dîner et y convie, sans insistance ni chantage insidieux, une poignée de personnes dont aucune ne se présente jamais. Ça ne l'empêche pas de recommencer l'année suivante. Peut-être pour s'infliger douloureusement le rappel que si on veut des proches, il faut les y forcer. Peut-être parce qu'il espère encore, au fond, que quelqu'un viendra de bon coeur. Ou peut-être juste pour s'égayer dans la préparation, parce qu'il est russe et que les russes aiment recevoir, quand bien même personne ne veut y aller.

Finalement, les dernières années ont été à l'image de toutes celles qui les ont précédées. Fondamentalement, rien n'a vraiment changé. Ses contacts professionnels ne dépassent pas le cadre professionnel. Ses amitiés ne dépassent pas le cadre du sens unique. Ses liaisons ne dépassent pas une nuit. Comme dans son enfance, il est terriblement seul, et il a beaucoup de mal à le supporter. Néanmoins, il a désormais bien des recours pour pallier à ce problème, et il a appris à en user.... et en abuser.  Il 'veille' de si près sur cette mignonne mini-famille balte, le grand et le petit. Ça ne suffit pas, parfois. Le temps l'a un peu éloigné de ses soeurs... alors il lui arrive, parfois, pour donner le change, de mentionner au passage son autre famille, son épouse et ses enfants. Autre famille qui présente l'inconvénient tout de même majeur de n'avoir jamais existé.


C'est vrai qu'il s'est installé aux Etats-Unis, c'est vrai qu'il a opté pour un métier qui est l'incarnation même du capitalisme, mais il a de bonnes raisons pour avoir fait ces choix. Pour obtenir le contrôle, il faut au préalable avoir obtenu la puissance. D'une certaine manière, c'est à quoi il est arrivé.

Pseudo : Alrisha Âge : trop pour cumuler les fofos. Mais pas encore assez pour être raisonnable. Comment avez-vous trouvé le forum ? : Je l'ai trouvé joli. Le code :  Mon sublime clébard d'amour.